" Hiro-shima" dont le nom fût interprété par un journaliste comme "l'île de la tolérance" a été effacée de la carte du monde le 6 août 1945 par une bombe.
Dans son livre " L'île au bonheur - hommes, atomes et cécité volontaire" la physicien Harry Bernas mêle souvenirs personnels d'exils entre les deux guerres mondiales, son parcours en physique nucléaire et un intense questionnement sur les applications des découvertes scientifiques de ce domaine.
L'auteur dresse une indispensable réflexion, toute en nuances, sur la façon dont cette course à la découverte par ego, par passion, par aveuglement et nécessité de subsides, a conduit la physique nucléaire à faire des milliers de victimes et à la destruction de nombreux écosystèmes dans le monde.
Comment la recherche scientifique supposée être mise à profit pour des utilisations bénéfiques dites "civiles" est en réalité bien souvent détournée à des fins militaires, pour générer des bénéfices financiers exubérants ou pour faire grandir le pouvoir d'une toute petite partie des humains.
A quel point nombre de scientifiques préfèrent - comme tous les autres humains - ne pas savoir, ne pas se douter du potentiel destructeur caché derrière leurs travaux de recherche. L'auteur évoque "l'ignorance volontaire du danger". Combien d'entres eux choisissent d'avancer aveuglement dans l'engouement intarissable d'une découverte sans prendre de recul à l'utilisation finale ?
Et de toute façon, de quelle façon pourraient-ils s'opposer à une utilisation pervertie de leurs découvertes ? Car lorsque des scientifiques visionnaires et droits tentent d'alerter sur une utilisation détournée dangereuse de leurs savoirs et découvertes, ils sont écartés (plus ou moins violemment).
De nos jours, Harry Bernas estime que " [les scientifiques] n'ignorent pas les risques. Et d'abord celui que constitue la puissance financière des Google ou Apple qui, s'ils le souhaitent, pourraient avaler tout cru leur start-up, mais aussi la recherche universitaire, matériel et compétences inclus où des découvertes laissent espérer un profit énorme. Qu'adviendra-t-il quand la plupart des universitaires ne survivront que grâce à la bienveillance intéressée ou aux ordres des GAFAM ?"
L'auteur soulève encore une fois avec pertinence : "il devient impossible, aujourd'hui, d'échapper à la sinistre hiérarchie. En potentiel intellectuel comme en moyens techniques, recherche et science sont poussées à devenir d'abord serviteurs, complices et opérateurs des armes, de la guerre et d'un contrôle social qui échappe de plus en plus à l’État. Loin derrière, elles sont magnifiquement progresser la connaissance du monde."
Ce livre m'a secouée car les questionnements de son auteur ne sont autres que les miennes, en particulier depuis ces 3-4 dernières années. L'engagement intellectuel devrait passer par un engagement infalsifiable au service du vivant. Et je veux encore croire que certains très bons scientifiques (tout domaine confondu) travaillent pour une recherche juste, pour des utilisations au profit du vivant et non à sa destruction.
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